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Dans l' abbaye au crépuscule (1890)

 

La pierre que j'ai taillée accroche la lumière
Dont l'aveuglant flot pourpre embrase les croisées ;
Au Maître du chantier j' adresse ma prière,
Avant la fin du jour, près de l'oeuvre achevée.

S' il est quelque mérite dans ce que j'ai forgé,
C' est que ma main était conduite par la Tienne ;
Là où je n' ai pas su comprendre Ta pensée,
Je sais que la responsablité est mienne.

Qui Te refuserait un instant de sa peine
Commetrait une faute indigne de pardon ;
Que ce que j'ai écrit quand Tu tenais les rènes
Approche pour Toi, par Toi, de la perfection.

De peur que ne s'efface toute pensée d' Eden,
Si bien Tu en imprègnes l' esprit de l'artisan,
Qu' il imite de Dieu l'aisance souveraine,
Mais redevient un homme auprès du Tout-Puissant.

Le rêve qui se cache au tréfonds de mes voeux,
Les erreurs commises au goût amer de bile,
Tu les connais, ô Toi qui inventas le feu,
Tu les connais, ô Toi qui inventas l' argile.

Une pierre de plus va occuper sa place
Dans le temple où se lit Ta valeur sans égale -
Il me suffit que par la faveur de Ta grâce
Je n'ai rien vu sur terre qui me parût banal.

Préserve ma vision, et que rien ne l' altère ;
Si victoire et défaite tour à tour se succèdent,
Fais que je n'ai pas besoin du secours de mes frères,
Que je puisse secourir ceux qui ont besoin d' aide.

 

John Rudyard Kipling Dernière mise à jour :