Le 14 mars 1925, Kipling écrit de l'Hôtel du Grand
Monarque à Chartres où il est descendu avec son épouse
- tous deux en route pour la Riviera - une lettre à son grand
ami Rider Haggard.
Après avoir parlé de la cathédrale d'Evreux et
de celle de Dreux, il écrit: " et pour finir, après toute
une journée de pluie, Chartres - l'énorme masse gris-bleue
de la cathédrale qui semble dominer la moitié de la France
(...). Je suis entré dans la cathédrale juste avant le crépuscule
et c' était comme si quelqu'un pénétrait au coeur
même du Trésor de la Foi. Vous connaissez cette inexprimable
couleur de gloire de Chartres - les vitraux sont tous superbes et quelques
uns n'ont absolument aucun défaut ni aucune ternissure. La dernière
fois où je les avais vus, les vitrages étaient brisés
à cause des bombardements des Huns. Maintenant ils sont de retour
dans toute leur gloire - la rosace ainsi que tous les autres et, dans les
quelques minutes qui précèdent le triomphe de l'obscurité
sur la lumière du jour, les vitraux se sont tous incendiés
et mis à flamboyer comme des âmes de martyrs. Vous ne pouvez
savoir à quel point les profondeurs de mon être en ont été
impressionnées. Je veux que vous puissiez voir cela un jour."
Dans la foulée, Kipling écrivit un sonnet à
la gloire des vitraux de Chartres
(traduction sous toute réserve)
:
Les vitraux de Chartres (1925)
La couleur réalise ce que le pouvoir de la musique ne
peut.
Par la lumière qu'il envoie sur chacun, le vitrail ne juge
pas mais révèle
A tous leurs faiblesses, à chacun ce qu' il vénère,
Et tout le clinquant et le désordre de notre vie
quotidienne
L' ayant décoré par le fer, dessiné dans la pénombre
et le feu,
L' artisan recherche le Moment précis où, phase ultime,
Il portera ce vitrail aux carreaux de plomb fondant et aux teintes
bien fixées,
Jusqu' à la pierre froide qui résiste ou s'incline devant
son vouloir.
Maintenant, au-dessus du dallage que tant de pas ont foulé
Il devient comme l' Esprit, dans ses profondeurs et ses hauteurs,
Orienté uniquement et silencieusement vers son
Dieu
Dès lors, il n' émet plus ces demi-teintes et ces lueurs
angoissées.
Et c'est la vraie lumière du Ciel, qui en leur place, découvre
à travers
Les blasons ce dont chaque homme a rêvé et que nul d'entre
eux n' a connu.
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