Dans mon imagination ardente, il
est des lieux où je puis vous retrouver en
toute heure. Ces endroits, véritables
oasis intérieures, ce sont mes
souvenirs des cathédrales.
Les édifices ressurgis de ma mémoire sont mes
refuges les plus sûrs en ce
monde agité. C'est là, dans les tréfonds de mon
âme en proie à ses
plus chères réminiscences, parmi des colonnes
jaillissantes, sous des voûtes
élégantes à l'extrême, entre des rangées
hautes de vitraux que m'apparaissent
vos traits. Graves.
Désireux de fuir les bassesses
de ce monde, les yeux fermés je me glisse
dans l'ombre sanctifiée de
cette cathédrale en souvenance pour vous
rejoindre... Alors, ancré
dans mes rêveries, je laisse libre cours aux
fantaisies qui me prennent sur le
moment et qui m'emportent plus loin que
les admirables hauteurs gothiques.
Voici un exemple de ces fantasmagories
ascensionnelles :
J'imagine que nous sommes seuls,
vous et moi, dans ce sanctuaire de pieuse
beauté. Dehors la saison
ne m'importe plus, tant je préfère au soleil cru
(qu'idolâtrent les jouisseurs
impies) le jour transfiguré diffusé par les
vitraux. La foule hérétique
peut bien danser, boire ou chanter, seuls valent
à mes yeux le silence des
pierres et le bruit discret de nos pas en cette
maison de paix. Le reste du monde
ne me préoccupe pas dans ces moments où je
flâne en votre compagnie sous
les ogives. Et ma rêverie se poursuit.
A genoux à vos pieds, je lève
les yeux vers votre visage qui se baisse sur
moi. A l'arrière plan resplendit,
éblouissante et majestueuse, la rosace de
la cathédrale. Je suis saisi
devant la beauté solennelle de ce tableau
impromptu formé par votre
visage et la mosaïque de verres multicolores...
Vos traits se croisent avec la lumière
dans une perspective inattendue qui
donne une féerie particulière
à votre regard, à votre face dont les contours
bien découpés se détachent
sur le fond de clarté enluminée.
Puis peu à peu votre visage
se morcelle, se disperse de manière surnaturelle
avant de s'évanouir... Nullement
effrayé par le prodige, mon émotion n'est
est pas moins profonde, et front
contre terre je verse les larmes pures
d'une joie mystique. Une fois mon
émoi versée, toujours agenouillé, je
relève la tête et constate
que vous avez mystérieusement disparu. Mais
aussitôt je reconnais vos
traits transposés dans les éclats de lumière de la
rosace, radieux, glorieux, pleins
de magnificence.
Et je demeure là, confondu,
émerveillé, seul dans l'immense cathédrale face
à votre regard incrusté
dans le vitrail de la rosace, oeil unique dans
lequel je vous vois tout entière
et qui semble scruter pour l'éternité mon
âme éperdue d'amour.
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