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ARTICLE EXTRAIT DE LA REVUE NOTRE-DAME DE CHARTRES N°76 SEPTEMBRE 1988 signé Jean VILLETTE

 

En 1982 a paru le troisième et dernier volume de «Chartres Les constructeurs» de John JAMES, édité par la Société archéologique d'Eure-et-Loir. Des observations d'ordre purement technique ont conduit l'auteur. qui est architecte. à reconsidérer la chronologie de la cathédrale et à corriger en partie celle qui était admise jusque là. Nous pensons rendre service à nos lecteurs en leur donnant. sous une forme résumée, les conclusions auxquelles il a abouti.

n est regrettable en effet que des rééditions récentes, comme celle de Notre Dame de Chartres, ouvrage dû à Émile MALE, reprennent intégralement le texte de la première édition (1963). sans tenir compte des connaissances nouvellement acquises. Quelques notes auraient été nécessaires pour éviter que soient indéfiniment répétées les mêmes erreurs.

L'une des plus courantes consiste à affirmer que les porches du transept n'étaient pas prévus et qu'ils ont été ajoutés après coup. Or. bien avant John James. le chanoine Delaporte avait déjà démontré le contraire.

L'incendie de 1194 :

Il juin 1194 - Un incendie accidentel ruine la majeure partie de la ville haute et la cathédrale du XIème siècle. La charpente apparente qui couvre l'édifice tombe enflammée, communique le feu au mobilier et aux tentures ;la pierre est si calcinée qu'elle est jugée irrécupérable.

Tout n'est pas détruit cependant, les constructions en sous sol sont intactes, ainsi que la façade occidentale et ses deux tours, tout récemment édifiées (entre 1134 et 1170 environ).

Le chœur roman est probablement épargné. au moins en partie. n est aménagé en église provisoire pendant les premières années de la reconstruction. Ce qui a pu protéger le chevet, c'est sa voûte en cul de four, qui en faisait la seule partie totalement en pierre dans l'édifice du XIème siècle.

John James pense que le centre de féglise et le haut de la nef avaient le plus souffert de l'incendie. Cela s'expliquerait en effet si le campanile de charpente offert en 1070 par Guillaume le Conquérant s'élevait sur le faîtage dans cette zone (1).

D'après ses observations. John James suppose aussi qu'il y avait sur la tour nord un clocher en bois, qui s'effondra, ce qui rendit plus long le déblaiement des ruines de ce côté et retarda la mise en route des travaux dans le collatéral nord de la nef

Les étapes de la reconstruction:

1194 - Dès les mois qui suivent l'incendie. on trace les limites de l'édifice projeté en tendant des cordeaux et l'on vérifie l'équerrage ; ce qui amènera à redresser le diamètre transversal de l'abside.

On implante les contreforts aux flancs de 1 a nef et les deux gros contreforts qui limitent le chœur à l'Est.

Comme l'ancien chœur est encore partiellement debout, il est impossible d'effectuer des visées ou de tendre des cordeaux dans ce secteur, d'où quelques irrégularités.

Avant la fin de l'année. les fondations de tous les murs extérieurs sont établies, y compris les murs englobant les deux bras du transept et les chapelles absidales du côté sud.

Dès lors. les formes essentielles de la cathédrale sont fixées pour toujours. Par la suite, on pourra modifier le projet initial, mais en construisant sur ce qui existe déjà on n'enlèvera jamais une pierre mise en place.

Sous les bras du transept on aménage des passages pour accéder à la crypte.

Les soubassements de 1 a sacristie actuelle, antérieure à 1194, vont être transformés et utilisés comme base d'un nouveau bâtiment.

 

Dès 1200, six ans après l'incendie de 1194.

 

Toutes les chapelles ajoutées à la crypte sont finies et on travaille à la corniche qui les surmonte, ainsi que les trois autres, enveloppées par un nouveau mur.

Les murs et les contreforts de la nef sont montés jusqu'au dessus de la base des fenêtres des collatéraux.

Les piles de la nef atteignent sensiblement le même niveau. Les murs et les contreforts du chœur sont montés jusqu'à la base des fenêtres des collatéraux. avec la corniche extérieure de circulation.

Dans les collatéraux du chœur (parties rectilignes). on a commencé à monter les piles, piles simples et piles cantonnées; dans le déambulatoire (partie tournante) on pose les bases des piles.

Les gros piliers de la croisée du transept sont commencés depuis quatre ans (1196).

Trois des escaliers droits qui, dans les contreforts du transept, descendent vers les couloirs souterrains et la crypte sont finis et voûtés depuis quatre ans (1196).

Les portails sud et nord sont commencés depuis trois ans (1197), ainsi que les quatre escaliers à vis du transept.

Les piliers extérieurs du porche nord sont commencés depuis deux ans (1198), et on implante les quatre piliers carrés du porche sud.

Le dallage de la nef est en place, avec le labyrinthe.

 

1200 - C'est l'année où l'on apporte de profondes modifications au projet initial: on opte pour deux déambulatoires au lieu d'un seul; de ce fait. les chapelles absidales seront moins profondes que ce qui était d'abord envisagé et on renonce aux deux longues chapelle_ latérales. une circulation continue étant établie entre le deuxième bas côté et le deuxième déambulatoire.

 

En 1204, soit dix ans après l'incendie

 

Toute la surface de l'église est utilisable, sous un toit temporaire, sauf la dernière travée du transept nord et de son collatéral ouest.

Au portail sud. Toutes les statues sont en place, ainsi que les sculptures, et il ne manque au porche qu'une partie de ses voussures externes.

Au portail nord, le portail de la Nativité est terminé et mis en service, et l'on travaille aux deux autres portails tandis que l'on continue de monter les piliers du porche (2).

 

En 1210,seize ans après l'incendie

 

Le triforium de la nef est achevé et l'on pose les colonnes du triforium du chœur.

Les voûtes des collatéraux de la nef sont finies depuis cinq ans (1205), toutes les voûtes des collatéraux du chœur et du double déambulatoire sont finies, avec le blocage qui les recouvre.

On termine les murs boutant de la nef

Depuis un an (1209) le porche sud est surmonté de sa galerie à pinacles.


 

En 1220, vingt six ans après l'incendie

 

Le fenestrage de la nef, avec les petites roses est terminé.

Les fenêtres hautes du chœur sont finies, mais les petites roses non encore construites. Les lancettes du chevet en cours de construction.

Les deux dernières travées du transept sud sont construites jusqu'au dessus du triforium. L'avant dernière travée du transept nord est à peu près au même niveau, mais la dernière travée n'est arrivée qu'à la base du triforium.

Les salles des tours sud-est et sud-ouest sont voûtées, mais les murs des salles des tours nord est et nord-ouest sont seulement amorcés.

Aux deux tours absidales, les salles fermées sont finies et on commence à monter les piles de la salle ouverte à tous vents.

Les arcs boutant de la nef sont faits, mais non ceux de la volée supérieure.

Aux arcs boutant du chœur, on est en train de placer les rayons et les arcatures des arcs boutants inférieurs et on commence les culées externes.

 

En 1226. Trente-deux ans après l'incendie, la cathédrale est presque finie.

 

Le toit définitif est en place, sauf sur les bras de transept.

Les fenestrages supérieurs avec les petites roses sont en place seulement à la première travée de chaque bras de transept; dans les autres travées, la construction n'a guère dépassé le niveau du triforium.

A la façade sud. les cinq lancettes sont construites et la base de la rose préparée.

A la façade nord, les lancettes ne sont pas encore construites.

Les tours du transept sud sont en cours de construction au dessus des salles voûtées, tandis que l'on travaille aux voûtes de celles du nord.

Les deux tours absidales n'ont pas encore atteint le niveau de leurs voûtes hautes.

 

Le travail est très lent après 1226

 

On finira de monter la rose sud en 1240, celle du nord commencée en 1233, sera finie de monter en 1241.

Les voûtes, aux extrémités du transept, sent terminées respectivement en 1241 pour le sud et en 1242 pour le nord.

La tour absidale du nord est achevée en 1231, celle du sud en 1232 peut être; en réalité ni l'une ni l'autre ne furent jamais achevées, ni celles du transept, ni le clocher central.

Les derniers travaux aux pignons des façades nord et sud, avec leur galerie et les tourelles coiffant les escaliers, sont datables de 1247 1256. Entre 1250 et 1260 environ. on construit la sacristie et le clocher carré nord (sur la tour du XIIème siècle).

 

Les vitraux

 

Les vitraux ont dû être exécutés au cours des années de la construction. mais ils n'ont pu être mis en place que les travaux une fois finis dans la zone où ils devaient être placés. C'est à partir de 1224 qu'on a pu monter les vitraux dans les fenêtres hautes de la nef; et à partir de 1226, ceux du chœur et du chevet.

On n'a pas pu monter les vitraux dans la rose sud (qui ont pu être conçus dès 1227) avant l’achèvement des voûtes en cet endroit en 1241

 


 

Ceux de la rose nord (conçus probablement en 1233) n'ont pu être mis en place qu'après l'achèvement des voûtes en cet endroit. en 1242.

Superficie totale de vitraux anciens:

2 500 m2 : L'ensemble le plus homogène de France et d'Europe.

 

Chronologie très résumée de la construction établie élément par élément de l'architecture

D’après l'opinion de John James

 

Murs extérieurs, du sous sol à la base des fenêtres

 

1196 1199  pour la nef

1195 1201   pour le chœur.

1195 - 1203    pour les chapelles absidales. 1195 - 1201 pour le côté est du transept

 

Fenêtres de l'étage inférieur

 

1199 1205  Nef

1201 - 1207  Chœur

1203 - 1208  Chapelles absidales 1201 - 1207 Transept (côté est)

 

Arcs - boutants

 

1215 - 1221  Nef  (arcs boutants du bas)

1222 - 1224  Nef (volée supérieure)

1216 1225  Chœur et chevet (volées superposées et volée externe)

 

Fenêtres supérieures

 

1212 - 1218 Nef

1212 - 1220 (ou 1213 - 1220) Chœur et aussi à la première travée de chaque bras de transept.

 

Petites roses

 

1213 (ou 1214) 1220 (ou 1221) Nef

1223 Chœur

1223 Transept: pour la première travée de chaque bras, côté ouest

1224                   pour la première travée sud, côté est

1226                   pour la première travée nord, côté est

Après 1227        pour les deux dernières travées

 

 

 

 

Voûtes des quatre chapelles ajoutées dans la crypte

 

1196 - 1199

 

Voûtes basses de la cathédrale

 

1205 Nef

1205 - 1208 Collatéraux du chœur 1206 - 1208 Double déambulatoire

 

Hautes voûtes

 

1222 - 1225 Nef

1224 - 1225 Croisée

1225 -1226 (ou 1227) Chœur

 

Grand toit

 

1222 - 1224 pour la nef

1224              pour la croisée.

1225 - 1226 pour le chœur.

1227 - 1242 pour les bras du transept

 

Grosses piles de la croisée

 

1196 - 1220

 

Piles de la nef (gros chapiteaux inclus)

 

1196 - 1202 jusqu'aux chapiteaux de la haute voûte inclus 1219 - des collatéraux du chœur (chapiteaux inclus)

1198 - 1204 du déambulatoire (chapiteaux inclus)

1200 - 1205 . du chœur (gros chapiteaux inclus)

1199 - 1204. (chapiteaux de la haute voûte inclus) posés en 12_

 

Portails du sud

 

1197 - 1204, les porches finis en 1209

 

Portails du nord

 

1197 - 1211, les porches finis en 1218

 

 

Grandes roses

 

1215 - 1220 environ rose Ouest 1227 - 1240 rose Sud

 

Escaliers du transept et tours du transept

 

1197 - 1245 environ, sans les tourelles supérieures

 

Tours absidiales

 

1199 - 1232 environ, celle du nord finie en 1231

 

Jubé

 

1217 - 1220

 

Remarque importante

Dès la page Il de son ouvrage Chartres - Les constructeurs (Société archéologique d'Eure-et-loir 1977). John James explique comment il a déduit sa chronologie de la construction de la cathédrale à partir de la datation des deux œuvres de Guillaume Le Breton telle qu'elle a été supposée par plusieurs auteurs. Si l'on tient compte des arguments de Colette Deremble Manhes, il convient d'adopter sa conclusion et de se convaincre que la construction du gros œuvre a été plus rapide qu'on ne le pensait.

La chronologie relative donnée par John James, c'est-à-dire l'ordre dans lequel les travaux ont été menés, se fonde sur de minutieuses observations techniques et garde toute sa valeur. Mais la question semble devoir être reconsidérée en ce qui concerne la chronologie absolue, c'est -à- dire l'attribution de telle date à telle partie de l'édifice. La datation des voûtes hautes est naturellement primordiale.

D'une certaine façon la nouvelle thèse proposée dans le même sens que celle de John James.

regarde comme terminés dès 1218 les portails et les porches des façades du transept. Si les dates admises actuellement pour la fin des travaux, aux extrémité des parties hautes du transept et notamment au nord, s'avéraient exactes, il faudrait supposer qu'un important ralentissement s'est fait sentir après la cadence extraordinairement rapide des deux premières décennies.

 

(1) Guillaume le Conquérant avait offert ce campanile pour le repos de l'âme de sa fille Adelize: « Adeliza, filia regis Anglorum, pro cujus anima pater ejus... jussit fieri campanarium quod est super aecc/esiam preciosum et bonum »

(2) Pour être le plus possible précis on établit ici une distinction entre les portails (dans le plan vertical du mur de façade) et les porches.

 

ARTICLE EXTRAIT DE LA REVUE NOTRE-DAME DE CHARTRES N°76 SEPTEMBRE 1988 signé Jean VILLETTE