L’attribution à une ville
d’une devise ne se fait jamais de façon officielle (cela est vrai
aussi pour les armoiries). Cette sentence se forge au fil des siècles
et illustre, le plus souvent, les événements liés
à l’histoire de la ville. Par conséquent il est souvent difficile
de connaître ses origines. Les interprétations sont nombreuses
et soulèvent différentes prises de position.
A Chartres, la devise est :
« Servanti civem querna corona
datur »
Souvent, cette devise fut traduite
par :
« Une couronne de chêne
est attribuée à celui qui sert la cité »
Or « servans, -antis »
est le participe présent de « servo, -as, -are »
signifiant « sauver, préserver, respecter » et non celui
de « servio, -is, -ire » signifiant « servir ».
De plus « civem » est l’accusatif de « civis, -is »
signifiant « citoyen, concitoyen » et non celui de « civitas,
-atis » signifiant « cité, ville ».
Une traduction correcte de la devise
pourrait donc être :
« Une couronne de chêne
est attribuée à celui qui sauve un concitoyen »
mais évidemment on pourrait
aussi dire :
« Une couronne de chêne
est attribuée à celui qui respecte un concitoyen »
(tout simplement)
Avant d’essayer de comprendre ses
origines, nous pouvons noter que cette sentence fait allusion à
une coutume romaine selon laquelle une couronne de chêne (couronne
civique) était décernée à tout citoyen romain
qui, sur le champ de bataille, sauvait la vie d’un de ses concitoyens.
La couronne de chêne apparaît sur de nombreuses médailles
accompagnée de l’inscription « ob cives servatos ».
De nombreux exemples, tirés
de l’histoire de Chartres, peuvent être cités pour illustrer
le sens ce cette devise :
En 1790, le compagnon maçon
Halgrain et le menuisier Brossier reçoivent des mains du maire Asselin
une médaille en argent frappée aux armes de la ville, attachée
à un ruban aux trois couleurs de la nation et portant la légende
: « Servanti civem querna corona datur ». Ils étaient
ainsi récompensés pour avoir risqué leur vie pour
dégager une femme ensevelie sous les décombres d'une maison
qui s'était effondrée rue de la Poissonnerie. De même,
peu après la chute de Robespierre, Jérôme Guillard,
agent national du district, s'était vu décerner une couronne
de chêne pour être intervenu, au péril de sa propre
existence, en faveur de Chevard et de 18 autres Chartrains jetés
en prison sous l'inculpation de fédéralisme et menacés
pour cela de la guillotine.
L’origine de cette devise est plus
difficile à cerner. Longtemps on pensa que cette devise pouvait
être attribuée à l’avocat Janvier de Flainville. En
effet d’après des archives le 10 juin 1775, Janvier, assesseur en
l’Hôtel de Ville de Chartres, passa marché avec le graveur
Duvivier afin de confectionner « deux coins de jetons ronds représentant
d’un côté le portrait du roy avec la légende ordinaire (LUD.
XVI. REX CHRISTIANISS.) et de l’autre les armes de ladite ville,
entourées d’une couronne de chêne, avec la légende
: Servanti civem querna corona datur... ».
En fait il est fort probable que
cette devise soit plus ancienne. Mais il est difficile de dire de quand
date cette devise, certaines personnes remontent celle-ci jusqu’au XIIe
siècle (armoiries des comtes de Chartres vers 1114). Le secrétaire
de la Société archéologique, qui était alors
l’archiviste départemental Lucien Merlet en 1883, publia le «
Cartulaire de l’abbaye de Tiron ». Dans l’introduction à ce
cartulaire, il cite un manuscrit de 1601 (dont nous n’avons aucune référence).
Ce document nous faisait connaître l’état de l’abbatiale à
cette époque. Et il nous décrit de façon détaillée
« une rangée de pendentifs de bois et d’écussons, aux
armoiries des bienfaiteurs de l’abbaye ». Selon le manuscrit, «
le cinquième écusson portait d’azur à trois fleurs
de lis d’or et trois besants de même, avec la légende «
Servanti civem querna corona datur », la date : 1114 et l’attribution
: Thibaut, comte de Blois et de Chartres ». Ce manuscrit est le plus
ancien témoignage de l’utilisation de cette devise. D’où
la probable apparition de cette devise dès le XIIème siècle,
mais, dans l’état actuel des documents connus, rien ne vient étayer
cette thèse. Par contre ce qui est intéressant c’est que
dés 1601 la devise soit associée aux armes de Chartres (les
blasons ont été repeints en 1865). Grâce à cette
référence et à d’autres études, on peut donc
tenir pour assurée l’existence dès la fin du XVIe siècle
de la devise chartraine.
Et maintenant, pourquoi cette
devise plutôt qu’une autre ?
L’histoire comporte de nombreuses
énigmes !
Peut-on alors émettre une
hypothèse sur les conditions qui décidèrent au choix
de cet attribut et à l'invention de la devise?
A la fin du XVIe siècle,
une partie de la bourgeoisie chartraine est éprise de Belles Lettres
et d'Antiquités. Les Huvé, les Savart, les Grenet,
pour ne citer qu'eux, laisseront divers témoignages de leurs activités
culturelles.
C’est Louis Huvé et Claude
Savart qui rédigeront la notice accompagnant la vue cavalière
de la ville de Chartres dans le recueil de Belleforest, vue accompagnée
d'un blason sans légende alors que la vue de Châteaudun est
timbrée du blason entouré de la fière devise «
extincta revivisco » (…). Peut-être que l'un d'eux aura-t-il
voulu offrir à sa ville natale une dignité que possédait
sa rivale?
L'échevin Louis Huvé
fera adopter par le corps de ville le texte de l'inscription rédigée
par Jean Grenet pour commémorer l’héroïque résistance
des Chartrains lors du siège de 1568. Le bon comportement
de la population ou un acte particulier de courage sont-ils à l'origine
du choix de la devise?
Voilà ce que l’on pouvait
dire sur cette devise que l’on peut facilement lire lorsque l’on arrive
à Chartres par le train (mosaïque placée sur le mur
au dessus de l’entrée de la gare côté voie). Mais peut-être
qu’un jour l’on découvrira la réponse à cette énigme.
Le hasard d'une lecture plus attentive livrera-t-il un jour le nom de ce
Chartrain cultivé et patriote qui voulut servir sa cité sans
prétendre pour autant à la couronne de chêne.
Bibliographie :
Bulletin de la société
archéologique d’Eure et Loir, n°62 (1er série), p145
à 150, 1976, article de Roger JOLY : De quand date la devise de
la ville de Chartres
Tome II des Mémoires de la
Société archéologique d’Eure et Loir, LECOCQ : Notice
historique sur les armoiries de la Ville de Chartres
Procès-Verbaux de la S.A.E.L.,
tome I, p87
Roger JOLY, Histoire de Chartres,
passage sur les armoiries de la ville, p227-229
Dictionnaire Latin-Français,
Bornecque et Cauët, Librairie Classique – Eugène Belin, 1935
Blason de Chartres
Héraldique : De gueules à
trois besants d’argent chargés chacun d’une inscription de sable
frappée au droit d’un denier du Moyen Age du type bléso-chartrain,
au chef d’azur chargé de trois fleurs de lis d’or.