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Devise de Chartres

mosaïque placée sur le mur au dessus de l’entrée de la gare côté voie Revers du jeton frappé en 1775

 

Sentence concise particulière ici à une ville, inscrite sur un listel ou ruban, puis placée sur des armoiries.


L’attribution à une ville d’une devise ne se fait jamais de façon officielle (cela est vrai aussi pour les armoiries). Cette sentence se forge au fil des siècles et illustre, le plus souvent, les événements liés à l’histoire de la ville. Par conséquent il est souvent difficile de connaître ses origines. Les interprétations sont nombreuses et soulèvent différentes prises de position.

A Chartres, la devise est :
« Servanti civem querna corona datur »

Souvent, cette devise fut traduite par :
« Une couronne de chêne est attribuée à celui qui sert la cité »
Or « servans, -antis » est le participe présent  de « servo, -as, -are » signifiant « sauver, préserver, respecter » et non celui de « servio, -is, -ire » signifiant « servir ». De plus « civem » est l’accusatif de « civis, -is » signifiant « citoyen, concitoyen » et non celui de « civitas, -atis » signifiant « cité, ville ».
Une traduction correcte de la devise pourrait donc être :
« Une couronne de chêne est attribuée à celui qui sauve un concitoyen »
mais évidemment on pourrait aussi dire :
« Une couronne de chêne est attribuée à celui qui respecte un concitoyen » (tout simplement)

Avant d’essayer de comprendre ses origines, nous pouvons noter que cette sentence fait allusion à une coutume romaine selon laquelle une couronne de chêne (couronne civique) était décernée à tout citoyen romain qui, sur le champ de bataille, sauvait la vie d’un de ses concitoyens. La couronne de chêne apparaît sur de nombreuses médailles accompagnée de l’inscription « ob cives servatos ».

De nombreux exemples, tirés de l’histoire de Chartres, peuvent être cités pour illustrer le sens ce cette devise :

En 1790, le compagnon maçon Halgrain et le menuisier Brossier reçoivent des mains du maire Asselin une médaille en argent frappée aux armes de la ville, attachée à un ruban aux trois couleurs de la nation et portant la légende : « Servanti civem querna corona datur ». Ils étaient ainsi récompensés pour avoir risqué leur vie pour dégager une femme ensevelie sous les décombres d'une maison qui s'était effondrée rue de la Poissonnerie.  De même, peu après la chute de Robespierre, Jérôme Guillard, agent national du district, s'était vu décerner une couronne de chêne pour être intervenu, au péril de sa propre existence, en faveur de Chevard et de 18 autres Chartrains jetés en prison sous l'inculpation de fédéralisme et menacés pour cela de la guillotine.

L’origine de cette devise est plus difficile à cerner. Longtemps on pensa que cette devise pouvait être attribuée à l’avocat Janvier de Flainville. En effet d’après des archives le 10 juin 1775, Janvier, assesseur en l’Hôtel de Ville de Chartres, passa marché avec le graveur Duvivier afin de confectionner « deux coins de jetons ronds représentant d’un côté le portrait du roy avec la légende ordinaire (LUD. XVI. REX CHRISTIANISS.) et de l’autre les armes de ladite ville, entourées d’une couronne de chêne, avec la légende : Servanti civem querna corona datur... ».
En fait il est fort probable que cette devise soit plus ancienne. Mais il est difficile de dire de quand date cette devise, certaines personnes remontent celle-ci jusqu’au XIIe siècle (armoiries des comtes de Chartres vers 1114). Le secrétaire de la Société archéologique, qui était alors l’archiviste départemental Lucien Merlet en 1883, publia le « Cartulaire de l’abbaye de Tiron ». Dans l’introduction à ce cartulaire, il cite un manuscrit de 1601 (dont nous n’avons aucune référence). Ce document nous faisait connaître l’état de l’abbatiale à cette époque. Et il nous décrit de façon détaillée « une rangée de pendentifs de bois et d’écussons, aux armoiries des bienfaiteurs de l’abbaye ». Selon le manuscrit, « le cinquième écusson portait d’azur à trois fleurs de lis d’or et trois besants de même, avec la légende « Servanti civem querna corona datur », la date : 1114 et l’attribution : Thibaut, comte de Blois et de Chartres ». Ce manuscrit est le plus ancien témoignage de l’utilisation de cette devise. D’où la probable apparition de cette devise dès le XIIème siècle, mais, dans l’état actuel des documents connus, rien ne vient étayer cette thèse. Par contre ce qui est intéressant c’est que dés 1601 la devise soit associée aux armes de Chartres (les blasons ont été repeints en 1865). Grâce à cette référence et à d’autres études, on peut donc tenir pour assurée l’existence dès la fin du XVIe siècle de la devise chartraine.

  Et  maintenant, pourquoi cette devise plutôt qu’une autre ?
L’histoire comporte de nombreuses énigmes !
Peut-on alors émettre une hypothèse sur les conditions qui décidèrent au choix de cet attribut et à l'invention de la devise?
A la fin du XVIe siècle, une partie de la bourgeoisie chartraine est éprise de Belles Lettres et d'Antiquités.  Les Huvé, les Savart, les Grenet, pour ne citer qu'eux, laisseront divers témoignages de leurs activités culturelles.
C’est Louis Huvé et Claude Savart qui rédigeront la notice accompagnant la vue cavalière de la ville de Chartres dans le recueil de Belleforest, vue accompagnée d'un blason sans légende alors que la vue de Châteaudun est timbrée du blason entouré de la fière devise « extincta revivisco » (…).  Peut-être que l'un d'eux aura-t-il voulu offrir à sa ville natale une dignité que possédait sa rivale?
L'échevin Louis Huvé fera adopter par le corps de ville le texte de l'inscription rédigée par Jean Grenet pour commémorer l’héroïque résistance des Chartrains lors du siège de 1568.  Le bon comportement de la population ou un acte particulier de courage sont-ils à l'origine du choix de la devise?

Voilà ce que l’on pouvait dire sur cette devise que l’on peut facilement lire lorsque l’on arrive à Chartres par le train (mosaïque placée sur le mur au dessus de l’entrée de la gare côté voie). Mais peut-être qu’un jour l’on découvrira la réponse à cette énigme. Le hasard d'une lecture plus attentive livrera-t-il un jour le nom de ce Chartrain cultivé et patriote qui voulut servir sa cité sans prétendre pour autant à la couronne de chêne.




Bibliographie :

Bulletin de la société archéologique d’Eure et Loir, n°62 (1er série), p145 à 150, 1976, article de Roger JOLY : De quand date la devise de la ville de Chartres
Tome II des Mémoires de la Société archéologique d’Eure et Loir, LECOCQ : Notice historique sur les armoiries de la Ville de Chartres
Procès-Verbaux de la S.A.E.L., tome I, p87
Roger JOLY, Histoire de Chartres, passage sur les armoiries de la ville, p227-229
Dictionnaire Latin-Français, Bornecque et Cauët, Librairie Classique – Eugène Belin, 1935

Blason de Chartres
Héraldique : De gueules à trois besants d’argent chargés chacun d’une inscription de sable frappée au droit d’un denier du Moyen Age du type bléso-chartrain, au chef d’azur chargé de trois fleurs de lis d’or.


Évolution des monnaies au type chartrain ou chinonais (d’après de Ponton d’Amécourt : Monnaies au type chinonais, Mâcon, 1895).
1 : Saint-Aignan-sur-Cher (début XIe)
2 : Blois
3 : La même, après rotation d’un quart de tour
4 : Blois
5 : Chartres

 

Copyright © 1999 Antoine Launay

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