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 dit du Jugement Dernier

Trumeau   Linteau

Tympan                statues ébrasement Gauche     statues ébrasement Droit            Voussures              

 

texte de Jean VILLETTE

Les Portails de la cathédrale de Chartres

© Editions Jean Michel GARNIER 1994

 

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  LE TRUMEAU  (cliquez pour voir une photo géante du trumeau)   haut de page

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Les apôtres sont groupés au portail central, accompagnant le Christ du trumeau, comme on le fera bientôt dans d'autres cathédrales et dont l'exemple d'Amiens reste le plus remarquable. Le visage empreint à la fois de douceur et de virilité, le Christ se fait accueillant au visiteur et il élève sa main droite dans un geste de bénédiction qui sera repris par le sculpteur de la statue d'Amiens populairement appelée le "Beau Dieu".

Le vêtement à l'antique, très sobre, contraste avec la richesse du livre dont les fermoirs et la reliure sont finement ornés. On constate, même si cela peut sur­prendre, que, pour donner un éclat particulier à cette statue, son auteur avait disposé des cabochons de verroterie au bas de la robe et le long des bords du manteau, comme le prouvent les petits trous de fixation que l'on peut observer. Le nimbe semble avoir été aussi enrichi de cabochons. Le Christ a les pieds posés sur le lion et le dragon, symboles des forces du mal, selon le psaume 90. Ils sont sculptés tout entiers sur les flancs du trumeau. Le lion rugissant dresse très haut son arrière-train et sa queue à panache. Quant au dragon ailé, dont la gueule se fait menaçante, il se termine par un long corps sinueux et annelé de ver de terre.

Lorsqu'il fallut refaire, à la façade de Notre-Dame de Paris, le trumeau qu'au XVIIIème siècle Soufflot avait été chargé de supprimer sur l'ordre du chapitre (parce qu'il gênait le passage du dais de procession !), Viollet-le-Duc décida de faire recopier le Christ et les deux animaux du trumeau de Chartres. Au-dessus de la tête du Christ, la face inférieure du dais a été délicatement sculptée: on y découvre un églantier, avec ses feuilles et ses fleurs visiblement interprétées d'après nature; sur les côtés, deux petits anges soutiennent l'encensoir et portent (ou ont porté) dans l'autre main la navette à encens.

La partie basse du trumeau, au cours des siècles, a dû affronter quelques bousculades; elle a manifestement subi de vieilles mutilations, que d'autres bousculades se sont chargées de polir. Deux scènes s'y étagent. En haut, un homme, la tête levée et ceinte d'une discrète couronne de fleurs, est agenouillé. Avant d'être mutilé, il joignait les mains. En face de lui, un grand panier d'osier - d'un remarquable réalisme - est rempli de pains. Un serviteur en a pris deux qu'il a empilés sur sa main, tandis qu'un autre, à droite, en emporte dans le pan de son manteau retroussé.

Dessous, à gauche, un homme se tient debout près d'une table (en partie brisée) que soutenaient des colonnes, et qui porte encore en son centre un pain. Derrière la table, deux personnages sont assis. Le mieux conservé est la dame, à droite, coiffée du touret. Selon l'hypothèse la plus vraisemblable, cette scène pour­rait faire allusion au mariage du comte de Chartres, Louis de Blois, fils du comte Thibault V, avec Catherine, fille aînée de Raoul de Clermont en Beauvaisis. On sait que lors des mariages nobles, la coutume était de distribuer du pain aux pa_vres. Par un échange de gestes courtois, encore en usage au XVe siècle, le jeune marié offrait à son épouse un bouquet; et elle, après en avoir prélevé quelques fleurs, les tressait en couronne, qu'elle déposait sur la tête de son mari.

                      Sous la statue du Christ, l'importance donnée au pain et le geste de charité prennent une place significative.

      De ce sujet, d'autres interprétations ont été données. De même que les drapiers figurent en tant que donateurs sous le Christ du trumeau à la façade nord de Reims, un auteur a suggéré, assez récemment, que l'on a pu représenter ici les boulangers de Chartres: ils auraient été les donateurs, en tout ou partie, de ce portail. Or, vers le même temps, ils ont offert cinq vitraux à la cathédrale, ce qui suppose une dépense considérable. De plus, il faut penser qu'un certain nombre de maisons possédaient alors un four à pain et que, par ailleurs, des gens cui­saient au four banal, ce qui représentait autant de clients en moins pour les bou­langers. Enfin, pourquoi verrait-on une boulangère endimanchée et coiffée d'un chapeau pour servir la clientèle dans sa, boutique? et le boulanger couronné de fleurs ?

Une autre interprétation, née au XIXème  siècle et qui se répète encore, veut que le donateur figuré au trumeau soit Pierre Mauclerc, comte de Dreux,

 sous le prétexte qu'il sera peu après le donateur, ainsi que son épouse, Alix, des vitraux de cette même façade méridionale. Or, il a offert non seulement les vitraux de la rose et des lancettes du midi, mais encore tous ceux de l'étage dans cette même travée extrême du bras méridional du transept. Ne serait-ce pas là, au total, une dépense invraisemblable? Et pourquoi, parmi tant de généreuses contributions, le comte de Chartres se serait-il tenu à l'écart? Nous ne disposons d'aucune preuve; c'est dire que le débat reste ouvert.

LES GRANDES STATUES

Aux ébrasements du portail s'alignent les apôtres. Deux exceptions mises à part, chacun d'eux tient l'instrument de son supplice et il a généralement pour socle son persécuteur. Les inscriptions des banderoles ont disparu; or, pour cer­tains apôtres l'historien est mal renseigné.

Saint Pierre et saint Paul se font pendant de part et d'autre du Christ. Ils sont fêtés le même jour et considérés comme les deux piliers essentiels de l'Eglise. Quand saint Paul figure parmi les apôtres, ce qui est le cas presque toujours, bien qu'il ne fasse pas partie des Douze, un apôtre manque; c'est généralement Mathias, le successeur de Judas.

Comme l'a noté Emile Mâle, "le portail méridional de Chartres, si l'on en juge par le style des statues, nous montre une des plus anciennes séries monumen­tales d'apôtres que nous possédons". Celle de Notre-Dame de Paris a dû lui suc­céder de peu, mais elle a malheureusement disparu et a été remplacée par des oeuvres du  XIXème siècle.

  Les statues de l'ébrasement de gauche (Lire de droite à gauche)  haut de page

1 -SAINT PIERRE  haut de page  

La statue la plus proche de la porte est celle de saint Pierre qui occupe la place d'honneur, à la droite du Christ. Dans sa main droite il tient l'une contre l'autre deux immenses clefs, celles qui symboliquement ouvrent la porte du "Royaume de Dieu", et, dans son autre main, la croix de son supplice, mais privée de sa traverse horizontale. Comme Pierre et Paul furent mis à mort l'un et l'autre à Rome par ordre de Néron, il n'était pas concevable de faire figurer deux fois celui-ci et on le placera sous les pieds de Paul. Au socle de Simon-Pierre a pris place l'autre Simon, le magicien, protégé de Néron, qui avait proposé à Pierre de lui acheter les pouvoirs spirituels des apôtres. Mais Pierre lui répondit qu'on n'acquiert pas "à prix d'argent les dons de Dieu". C'est pourquoi Simon le Magicien est montré une bourse attachée au cou et remplie de pièces de monnaie. Le sculpteur n'est certai­nement pas celui qui est l'auteur de la reine de Saba, au portail nord, où un sujet semblable a été traité, mais d'une manière beaucoup plus réaliste. La Légende dorée ne s'est pas fait faute de prendre au texte biblique le personnage de Simon le Magicien et de lui attribuer des entreprises et tours de prestidigitation étonnants. Des épisodes de ce genre, devenus populaires, sont montrés à l'église Saint­Pierre de Chartres dans un vitrail du début du XIVe siècle.

2 - SAINT ANDRÉ  haut de page

,C'est naturellement saint André qui a pris place à côté de saint Pierre, son frère. Il tient la croix rappelant celle sur laquelle il fut supplicié à Patras, sur la côte occi­dentale du Péloponnèse. De la croix, il ne reste que le montant vertical. On notera qu'en ce début du XIW siècle la croix de saint André, comme dans un vitrail de la cathédrale, est encore une croix latine, dont la traverse est perpendiculaire au montant. Même remarque dans un vitrail du début du XIVème siècle à l'église Saint­Pierre. C'est plus tard qu'une nouvelle tradition se fera jour, donnant à la croix de saint André une forme en X, désormais populaire.

Accroupi sous ses pieds, figure le proconsul d'Achaïe: Egéas, qui le fit arrêter et crucifier. Un proconsul n'étant pas roi, c'est abusivement qu'il a été gratifié d'une couronne.

3 - SAINT PHILIPPE  haut de page

C'est certainement saint Philippe que l'on a placé à côté de saint André, son compagnon et compatriote, comme lui originaire de Bethsaïde. Il tient l'épée, attribut qui a été contesté, car il ne serait pas mort décapité, mais lapidé. L'épée ici est nue, ce qui est exceptionnel, et elle est tenue par la lame. Les épées de la plupart des apôtres sont presque toujours dans leur fourreau, car il s'agit de rappeler leur genre de mort mais non de leur donner une attitude guerrière et agressive. On a varié au maximum la position des épées et la façon dont le ceinturon s'enroule autour du fourreau. Sous les pieds de saint Philippe, levant la tête vers lui, celui qui le fit mettre à mort : le roi d'Hiérapolis, en Phrygie.

Au nord comme au sud, toutes les colonnes torses qui portent les statues sont agrémentées, en haut et en bas, de motifs végétaux. Par exception, au bas de la colonne de saint Philippe figurent trois dragons ailés; l'extrémité du corps de l'un d'eux se love en 8 comme un serpent.

4 - SAINT THOMAS  haut de page

Saint Thomas tient une épée dans son fourreau. Cette arme l'aurait transpercé, selon la Légende dorée. Mais le Martyrologe romain dit qu'il fut tué à coups de lance.

Au socle, son persécuteur: le roi de l'Inde supérieure. L'histoire attribue à saint Thomas l'évangélisation de la Chaldée.

5 - SAINT SIMON  haut de page

Saint Simon, dit le Zélote à cause de sa prise de position contre l'occupation romaine, a ici été supposé mis à mort par l'épée, mais en réalité on ignore le genre de supplice qui lui fut infligé. Il se tourne vers son voisin de droite, placé un peu à l'écart, et sa main indique qu'il converse avec lui. Il s'agit sans aucun doute de son compagnon, saint Jude. Tous deux subirent le martyre en Perse.

Le monarque figurant sous les pieds de saint Simon est sans doute celui qui régnait alors dans ce pays, mais dont la légende ne parle pas.

6 - SAINT JUDE  haut de page

Saint Jude, connu aussi sous le nom de Thaddée, a été placé en retrait, dans l'angle. Pour conserver un nombre total de dix statues aux jambages du portail - dix, nombre partait pour les pythagoriciens de l'école de Chartres - il a probable­ment paru nécessaire de mettre un peu à l'écart deux apôtres. Saint Simon et saint Jude se tournent l'un vers l'autre pour que le spectateur voie bien qu'ils sont compagnons. L'attitude n'est pas du tout la même pour les deux apôtres qui leur font pendant à l'extrémité droite. Saint Jude tient, lui aussi, l'épée dont le pom­meau est exceptionnellement demeuré intact.

Au socle, l'homme barbu et coiffé d'un bonnet ne peut être que le dénonciateur responsable de la mise à mort. Si l'on se reporte à la vieille légende écrite dont s'est inspiré un vitrail de la chapelle axiale, dans la cathédrale, il n'est pas ques­tion de monarque dans le martyre des deux apôtres, mais d'un général de l'armée de Xerxès, roi de Perse. Elle raconte que les prêtres païens les massacrèrent parce qu'ils avaient refusé d'offrir un sacrifice aux idoles dans le temple du Soleil.

Comme les inscriptions sont effacées, les identifications proposées pour les statues de cet ébrasement n'ont qu'une valeur hypothétique; elles paraissent tou­tefois les plus plausibles.

Les statues de l'ébrasement de droite (Lire de gauche à droite)  haut de page

1 - SAINT PAUL  haut de page

Saint Paul fait pendant à saint Pierre. Depuis les débuts de l'art chrétien, le type physique des deux premiers apôtres a été fixé: une barbe et des cheveux frisés pour saint Pierre; pour saint Paul, une longue barbe en pointe et une légère calvi­tie au sommet du front, détails en accord avec la description laissée par l'écrivain grec Lucien qui vivait au lie siècle et avait pu tenir ses informations de quelqu'un d'âgé ayant vu et entendu parler Paul sur l'Agara, à Athènes. Le type de visage que lui a donné une mosaïque du Vie siècle, au baptistère des Ariens, à Ravenne, n'est pas très différent de celui qu'a taillé le ciseau du sculpteur chartrain. Saint Paul tient d'une main et montre de l'autre l'épée, rappelant qu'il fut décapité à Rome sur l'ordre de Néron. Autour du fourreau, le ceinturon est étroitement enroulé. Au-dessus du fourreau, on remarque à peine que le pommeau est brisé. L'empereur Néron, couronné, occupe le socle.

2 - SAINT JEAN  haut de page

Saint Jean, le plus jeune des apôtres, a un visage imberbe. Il est revêtu de la cha­suble, que recouvre, à l'encolure, l'amict des prêtres. Il tient le livre de son Evangile, au plat de reliure très orné. Dans son autre main subsiste le bas de la palme qu'il tenait dressée et dont l'arrachement se devine sur le côté de l'amict. Cette palme rappelle peut-être celle du martyre, puisque, selon la tradition, il aurait été plongé dans l'huile bouillante, sans que mort s'ensuive, ou bien elle fait allu­sion à la palme qu'il aurait reçue d'un ange, toujours selon une vieille tradition, au moment où la Vierge Marie rendit le dernier soupir, palme qu'il avait pour mission de porter en tête du cortège funèbre. C'est un sujet parfois traité, par exemple dans un vitrail du début du XVIe siècle, à l'église Saint-Aignan de Chartres.

Selon la tradition occidentale, en effet, l'apôtre Jean et l'évangéliste du même nom sont un seul et même homme, ce que contestent certains exégètes modernes qui s'appuient, non sans arguments, sur la tradition primitive de l'Orient où ils sont fêtés à deux dates différentes.

La légende a fourni aussi le sujet du socle. Un haut personnage d'Ephèse, nommé Aristodème, grand prêtre de Diane, aurait proposé à saint Jean d'accepter de boire une coupe de poison, moyennant quoi, si le poison ne produisait aucun effet, il promettait, lui, de croire au Christ. Ce qui fut fait. La difficulté pour l'imagier, c'est qu'un breuvage empoisonné garde toutes les apparences d'un breuvage qui ne l'est pas. Il était donc nécessaire de caractériser le poison de façon visuelle; d'où ce récipient où se côtoient des animaux venimeux (ou supposés tels) : une sorte de crapaud, une petite vipère, semble-t-il, et un scorpion de fantaisie.

Dans les oeuvres d'art, on voit fréquemment saint Jean représenté tenant une coupe d'où sort un serpent: c'est l'allusion à la coupe empoisonnée que rapporte la vieille tradition. L'histoire d'Aristodème est illustrée dans le vitrail de saint Jean l'Evangéliste, à la cathédrale.

3 - SAINT JACQUES LE MAJEUR  haut de page  

Saint Jacques le Majeur, qui périt décapité, a pour attribut l'épée. Il a été placé près de Jean, son frère. Il porte en sautoir une panetière; celle-ci et sa courroie sont ornées de coquilles Saint-Jacques, que les pèlerins de Saint-Jacques-de­Compostelle ramassaient sur les plages, toutes proches, de la côte de Galice et qu'ils accrochaient à leur manteau.

Sous les pieds de Jacques le Majeur, le roi Hérode-Agrippa 1er qui le fit décapiter vers l'an 44.

4 - SAINT JACQUES LE MINEUR  haut de page

Saint Jacques le Mineur, cousin du Christ, dont la tradition dit qu'il périt assommé par les foulons de Jérusalem (précipité du Temple, puis lapidé et achevé par un foulon qui lui fracasse le crâne) , tient une bigorne, long instrument de bois dont se servaient les foulons et les tanneurs pour frapper le cuir et le rendre plus souple. socle ?

5 - SAINT BARTHÉLEMY  haut de page

Saint Barthélemy, appelé aussi Nathanaël, tient - ou plutôt tenait - un long coute­las, instrument de son supplice, puisque la tradition dit qu'il fut écorché vif. Ce cou­telas, qui existait encore vers 1950, a dû être brisé par un coup de gel. Au socle, ce serait Astragès, roi des Indes, qui, dit-on, le condamna.

6 - SAINT MATTHIEU  haut de page

Saint Matthieu, qui a été désigné aussi sous le nom de Lévi, tient, comme saint Jean, le livre de son Evangile. Du reste, ils sont les deux seuls ici qui ont comme attribut le livre. Il fut le premier à noter par écrit, en araméen, les paroles du Christ. On ignore totalement comment il mourut. Matthieu porte son livre avec respect, de sa main voilée, sans doute pour évoquer en même temps les écrits des prophètes, auxquels il se réfère souvent. Sa place à l'extrémité des apôtres, comme une note en bas de page, renvoie aux prophètes du portail nord. L'homme du socle, qui porte ses mains à ses oreilles pour écouter la Parole, est dans la vigne, symbole du "royaume de Dieu" dans la Bible.

L'ensemble du tympan, des voussures et des linteaux du portail central sud représente la Résurrection des morts et le Jugement dernier. Les statues des apôtres sont là pour signifier, comme le dit l'Ecriture, qu'ils sont témoins du jugement.

 

LE TYMPAN  haut de page

 

Au centre du tympan, le Christ, assis, préside en juge suprême. Son flanc est découvert pour laisser voir la plaie provoquée après sa mort par la lance du centurion et d'où sortirent du sang et de l'eau. Il élève ses deux mains pour montrer les trous qui marquent l'emplacement des clous. Notons que depuis des siècles on a figuré les clous plantés dans les paumes, mais il a été démontré scientifiquement à l'époque moderne qu'ils étaient enfoncés dans les poignets. La crucifixion n'a été représentée par les artistes que tardivement, longtemps après que cet horrible supplice ait cessé d'être en usage, donc oublié en ce qui concerne bon nombre de détails; d'où quelques erreurs historiques, qui restent secondaires. Le sculpteur n'a pas manqué d'indiquer les trous dans les pieds.

De part et d'autre du Christ, la Vierge et saint Jean, les mains jointes, plaident en faveur de l'humanité. Tout autour, les anges tiennent les instruments de la Passion. Ainsi, sur les côtés, deux grands anges présentent, l'un la colonne et le fouet de la flagellation, l'autre la lance du centurion romain. Au sommet du tympan, quatre anges, environnés de nuages, planent. Les deux du centre tiennent sur leurs mains, voilées par respect, la croix, aujourd'hui privée de sa traverse horizontale, mais dont les arrachements sont visibles sur les épaules des anges. Deux autres, les mains également voilées, présentent, l'un à gauche, la couronne d'épines, et l'autre les trois clous, qui sont en fer. Sans doute a-t-on jugé qu'ils auraient été trop peu visibles et trop fragiles s'ils avaient été sculptés dans la pierre. Même remarque pour la couronne d'épines. Les anges, si fréquents dans l'art chrétien, dès l'époque byzantine, sont dans leur interprétation plastique, comme l'on sait, inspirés des génies ailés grecs, étrusques ou romains.

 

LE LINTEAU (ET LE PREMIER ÉTAGE DES VOUSSURES) haut de page

     La séparation des élus et des damnés se développe au linteau pour se pour­ suivre horizontalement au premier étage des voussures.

Placé un peu en avant, au centre du linteau, l'archange saint Michel  procède à la pesée des bonnes et des mauvaises actions, image symbolique très populaire. Déjà les Égyptiens de l'Antiquité, qui croyaient à une seconde vie, montraient sur leurs papyrus et sur les murs des temples, peint ou en bas-relief, leur dieu des morts, Anubis, avec son profil pointu de tête de chacal, tenant la balance pour peser ce que le défunt avait fait en bien ou en mal durant sa vie terrestre. Ici, un petit .être caricatural, d'aspect simiesque, occupe le plateau de droite, qu'un démon embusqué en dessous essaie d'attirer à lui. Mais c'est le minuscule per­sonnage aux mains jointes qui pèse le plus lourd. On arrive à oublier assez facile­ment l'absence du fléau de la balance et de ses chaînettes qui, trop fragiles, ont disparu.

Le cortège des élus s'organise à gauche de saint Michel ceux que le Christ juge fait passer à sa droite, selon l'Écriture et, le cortège des damnés , à droite pour le spectateur.

Le cortège des damnés haut de page

Près de l'archange, . un diable velu, à la figure horrible et vulgaire, pousse de sa main griffue un homme barbu qui se retourne  Au second plan, car le cortège avance sur deux files, un autre homme, qui semble rongé de regrets, se gratte le menton. Pour bien montrer qu'il n'y a pas deux poids, deux mesures, et que personne n'est épargné, même en faisant valoir ses fonctions ou son rang dans l'échelle sociale, prennent place parmi les damnés. un moine, une dame de la noblesse ou de la haute bourgeoisie, un évêque, un roi  Celui-ci attend son tour d'être précipité dans la fournaise; car devant lui  un affreux démon ricanant a chargé sur son dos un homme nu et, d'un coup de reins de débardeur, va le bas­culer dans le feu. La gueule de l'enfer, dont les mâchoires s'ouvrent en équerre , cadre la composition en bas et à droite. A travers les flammes, on distingue des têtes apeurées. En haut de la fournaise,  un diable, dont la trogne se fend d'un large rire sarcastique découvrant sa denture ébréchée, est armé d'un énorme pique-feu qui lui permet d'enfoncer dans le brasier les malheureux.,A côté de lui, un autre diable au sourire grimaçant tire par les cheveux un avare dont la bourse  remplie de ses économies devenues inutiles, est suspendue sur sa poitrine.

A voir tous les supplices de l'enfer qu'on a imaginés, on peut se demander comment Dieu, qui, selon saint Jean, "est amour", a pris plaisir à les inventer. L'explication est que, pour reprendre d'une autre manière et avec moins d'esprit ­un mot célèbre de Voltaire, l'homme a créé Dieu à son image.

 Au-dessus du cortège des damnés, sortant d'une frise de nuages, les anges assurent le service d'ordre et, d'un même mouvement oblique de leurs bras, balaient sans violence le lamentable défilé.Comme le sculpteur est doté d'un humour qui ne recule devant aucune audace, il a représenté un damné, au second plan, près du roi, qui lève la tête vers un ange et lui tire la langue. Derrière lui, un autre damné se retourne pour regarder en face un autre ange et, visiblement, il l'injurie. L'artiste a été assez courtois pour ne montrer dans cette foule que deux femmes. L'ange de droite semble bien avoir en main le pommeau d'une épée, dont la lame disparue, qui était horizontale, dirigeait sa pointe en arrière, donc dans une position dénuée d'agressivité. Elle figurait en tant qu'emblème de la justice.

La série des damnés se poursuit à droite, au premier étage des voussures:

1 - . Un diable qui a, en guise de visage, un masque sans épaisseur, véritable "tête sans cervelle" pourrait-on dire, exhibe une bouche largement fendue laissant voir des dents en créneaux; il transporte sur son épaule un homme réduit à l'état de loque

2 -  Une dame de la haute société, en costume d'apparat, est saisie par un démon à la corne impressionnante et dont on voit un pied en forme de patte griffue. Le diable, de sa bouche railleuse aux lèvres épaisses, lui susurre quelque chose à l'oreille.

3 -   Puis vient un autre démon, aux longues oreilles, aux yeux boursouflés et au nez épaté, qui s'empare d'une moniale. haut de page

4 -  Un avare, qui a toute sa vie amassé une fortune dans la bourse suspendue à son cou, est emmené par un diable au faciès léonin qui rit méchamment et se moque de lui en lui tirant la langue.

5 -  Après avoir fustigé l'avarice, voici le tour de la luxure. Un démon, coiffé d'un bonnet de laine muni d'oreilles d'âne et dont le ventre s'orne d'un large visage à la bouche grande ouverte, rit de toutes ses dents. Il transporte sur son dos, dans une position très inconfortable, une courtisane nue, la tête renversée, de telle sorte que sa superbe chevelure balaie le sol. Le démon a une queue terminée par un petit visage bestial qui parle à l'oreille de la femme. Toute cette fantaisie trucu­lente, chargée de signification, arrive à s'exprimer en respectant .un minimum de décence.

 

Le cortège des élus  haut de page

Il est réconfortant de terminer sur la note heureuse, le côté du paradis. Juste à gauche de saint Michel, un ange debout introduit dans le cortège des élus ceux qui ont été admis à en faire partie. Comme du côté des damnés, on note la présence d'un abrégé des classes sociales:  un roi d'abord, la tête ceinte de sa couronne, puis un évêque coiffé de la mitre et qui tient sa crosse... Ceux qui sont les plus proches du centre lèvent leur regard vers le Christ du tympan et joignent les mains. Puis les élus se tournent pour se mettre en route vers la gauche. Il n'est pas impossible que l'homme à la petite couronne de fleurs soit le comte de Chartres, Louis (1) , celui qui est peut-être représenté, avec une semblable couronne, au bas du trumeau, et qui, lorsque le linteau fut sculpté, venait de mourir à Constantinople, au cours de la Croisade. A gauche, un ange aux grandes ailes et aux cheveux frisés prend par la main un être juvénile et souriant. Pour donner une impression de foule, le sculpteur a disposé en arrière-plan une seconde file. De la frise de nuages sortent des anges qui encensent cette procession, mais les encensoirs ont disparu, sauf un.

La marche vers le paradis se poursuit à gauche, au premier étage des voussures:

1 -  Un ange apporte sur un linge l'âme d'un juste, figurée comme habituellement sous la forme d'un petit personnage nu, la présente à Abraham qui est sculpté au voussoir voisin. (voir suivant)

2 -  Abraham, le père des croyants - qu'ils soient juifs, chrétiens ou musulmans - est assis et tient dans son giron trois âmes, ce qui traduit visuellement l'expression: "les élus dans le sein d'Abraham". On peut noter en passant, sans y mettre trop de malice, que l'évocation du paradis a toujours présenté plus de difficultés aux ima­giers que celle des horreurs de l'enfer.

3 -  Un ange conduit un élu nu et couronné.

4 -  Un autre ange tient par la main une jeune femme nue qui replie l'autre bras sur sa poitrine.

Les trois derniers élus n'ont aucun vêtement, peut-être parce qu'on n'a pas souhaité distinguer les états sociaux, comme on l'a fait du côté opposé.

5 -  On peut supposer que le dernier ange accompagne un roi qui vient de recevoir la couronne d'élu et qui lui a remis entre les mains sa couronne royale désormais inutile.

A la console qui porte l'extrémité du linteau, à gauche, a été sculpté un atlante à la mine réjouie. contraste avec  celui qui se lamente à la console opposée, placée du côté de l'enfer.

 Le Jugement dernier de Chartres est un des plus anciens de la période gothique, sinon le plus ancien.

Celui de Notre-Dame de Paris, qui l'a suivi de peu sans doute, est un des plus beaux malgré les quelques retouches et transformations, à peine visibles, qu'il a subies après sa construction. Comment oublier la majesté du Christ debout et les deux grands anges qui l'accompagnent? Comment oublier les frimousses des petits anges radieux qui regardent intensément, certains appuyés des deux mains au balcon du paradis, tandis que d'autres lâchent le bord du balcon le temps d'applaudir? C'est là une trouvaille charmante de l'un des sculpteurs parisiens.

Avec des variantes, les mêmes thèmes avaient été sculptés dès le milieu du XIIe siècle à Saint-Denis et peu avant 1200 à Senlis et à Laon; plus anciennement aussi, durant l'époque romane, à Conques, à Beaulieu-sur_Dordogne et à Autun. Les élus et les damnés figurent avec l'Apocalypse à Saint-Trophime d'Arles et à Saint-Gilles-du-Gard.

Viendront plus tard les vastes compositions des tympans gothiques d'Amiens, de Bourges et de Poitiers, celle-ci débordante de mouvement. A Bordeaux, le sujet a été sculpté à la cathédrale, où la composition est calme et aérée, et à Saint-Seurin, où elle apparaît au contraire très compacte. On y remarque en outre, dans le détail, de notables différences.

La Résurrection des morts de Rampillon est l'une des plus remarquables, avec celles de Bourges et de Poitiers. On l'a aussi sculptée, entre autres, au portail des Libràlres de la cathédrale de Rouen et à Saint-Sulpice-de-Favières. Bien entendu, ces quelques énumérations ne prétendent pas être exhaustives.

Pour l'enfer, on a parfois imaginé une chaudière placée au-dessus des flammes qui sortent de la gueule, comme à Notre-Dame de Paris et à Bourges; et des diables attisent le feu à l'aide de soufflets. A Bourges, la gueule, vue de face et renversée, est celle d'un fauve, d'un félin, plutôt que celle du Léviathan que le Livre de Job décrit en peu de mots comme une sorte de crocodile monstrueux. La représentation des gueules de l'enfer est vraisemblablement plutôt née de l'imagi­nation populaire, sans référence à un texte biblique, de même qu'on a appelé « gueule d'enfer » telle anfractuosité ouvrant sur le mystérieux et inquiétant monde souterrain, sur le "royaume des morts"; les lieux inférieurs, les lieux infernaux.

Abraham, qui symbolise le paradis en tenant dans son giron les âmes des élus, est aussi sculpté à Bourges et à Reims, où les âmes sont plus nombreuses qu'à Chartres. En outre, à Reims, plusieurs anges apportent à Abraham d'autres âmes.

Ces quelques comparaisons montrent à la fois les parentés et les différences constatées d'un édifice à l'autre dans la manière de traduire le même sujet.

De part et d'autre du portail central - et c'est la même disposition aux portails du nord - à environ un mètre et demi du dallage, sous la petite fenêtre éclairant l'escalier à vis, court une frise constituée de cercles et de tri lobes alternés. Les cercles évitent toute rigoureuse régularité et les trilobes dansent: c'est tellement plus vivant ainsi!

Les vantaux des portes, qui ont reçu un habillage fâcheux vers 1900, supprimé en 1994, ont heureusement conservé, comme ceux du nord, leurs pentures de fer forgé anciennes, décorées de petits cercles obtenus par estampage.

 

1 - C'est M. John James qui a suggéré de voir dans l'homme couronné de fleurs du linteau Louis, comte de Chartres, qui Venait de mourir à Constantinople.

 

 

 

 

 

 

 

© mise en page Bernard GASTE 21 mai 2006